PAF May session 08 – Benjamin

Salut,

Après un dimanche soir particulièrement touchant (départs et arrivées), nous opérons un changement de majorité dans les nationalités représentées. Beaucoup de résidents français sont arrivés dans les dernières 48 heures. Cela perturbe un peu l’ambiance sonore générale et ça ne plaît pas toujours. Très honnêtement, je peux comprendre que ce soit agaçant pour un non-francophone ne passer de l’anglais pour tout le monde à un charabia incompréhensible.

Je dis ça en connaissance de cause. Il fallut avant mon départ qu’il me prenne la lubie de croire que j’étais seulement capable de reprendre la lecture de L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique de Walter Benjamin. Oh, c’est un ouvrage traduit en excellent français, ce n’est pas la question.

Ce livre – tout petit, tout mignon – entrait dans la liste des inévitables ouvrages de théorie esthétique à connaître par coeur dès les premières années à l’université d’arts plastiques. Il est encore aujourd’hui un ouvrage de référence en philosophie sur la question de l’art contemporain. Reprendre cette lecture, c’est mesurer sa propre maturité.

Etant étudiant, j’ai survolé le livre, et j’ai surtout décroché après une quinzaine de pages en utilisant la parade célèbre : « rien à foutre, j’ai pas besoin de ça pour devenir artiste ». C’est une technique que j’ai employé dans de nombreuses circonstances. En particulier, j’ai abusé de la formule consacrée lorsqu’on en venait aux mathématiques et aux sciences exactes – ce que j’ai amèrement regretté ensuite. D’ailleurs je me suis repenti.

Peut-être le repentir a quelque chose à voir avec la réouverture du chapitre Walter Benjamin. Tout étudiant en arts à peu près honnête (il y en a !) vous dira que ce livre de 78 pages des éditions Allia est un piège. On entre dedans en se disant qu’on a une bonne heure à perdre avant l’apéro. C’est juste le temps nécessaire pour boucler la leçon. Et c’est là, exactement qu’on se trompe. Mais on ne le sait pas encore.

Pour vous donner une idée, j’ai entamé le livre ce matin vers dix heures avec le café, dans le jardin. Entre le discours de Benjamin et les notes de bas de page qui tiennent sur plusieurs pages également, c’est un peu comme si on lisait de la philosophie et en même temps un précis d’histoire de l’art moderne. Si j’avais le temps, je vous parlerais de dizaines de mes camarades tombés au front à cause de cet instrument de torture. Plus d’un ont fini à l’asile ou ont renoncé au sacerdoce !

C’était l’instant lyrique.

Après une bonne journée de lecture comprenant pauses repas et pétanque, je n’en suis qu’à la moitié. C’est franchement déjà mieux que mon score initial d’universitaire révolté. Le plus important reste que cette fois je perçois la substantifique moelle du bouquin. Hommage discret à mon regretté professeur de philosophie.

Sur le contenu, je ne vais pas m’étendre ici. C’est très intéressant mais finalement c’est un ouvrage technique qui n’apporte pas grand chose aux néophytes sinon peut-être une forme de découragement instantané. Bien, il s’agit d’une réflexion sur la transformation de l’art (son mode de création, son rôle, sa valeur) en corrélation avec l’évolution technologique selon le point de vue d’un penseur du début du début du XXe siècle (première édition en 1935). Ou, pour paraphraser un peu : qu’est ce que c’est que l’art à l’ère industrielle ? Avant on peignait des fresques sur des murs, maintenant on prend des photos. Avant ça prenait du temps et c’était au spectateur de se bouger les miches pour voir l’oeuvre, maintenant on prend un cliché, on le copie, on le transforme, on le cale dans les journaux dans des dimensions absurdes et le spectateur grossit à vue d’oeil en consultant des facsimilés grotesques de ce qu’on eut appelé avant des chefs d’oeuvre dans des magazine en papier glacé. Avant les statues représentaient des dieux et elles étaient vénérées pour ça, maintenant on a des imprimantes 3D ! (Je divague ?)

Tout est assez juste chez Benjamin. Juste au sens où le discours est concis, clair et précis, il n’en fait pas des tonnes (contrairement à moi) et il touche à chaque attaque. Il faut comprendre aussi que Benjamin est assez réticent finalement au changement et il effleure la possibilité que l’art est mort. Avant d’accorder que l’art est coriace et qu’il a peut-être simplement évolué avec la société mais quand même ça a moins de gueule qu’avant.

Et là-dessus, c’est à chacun de prendre position. Les artistes contemporains ont assez largement pris position : nous on veut de la reproductibilité et du papier glacé parce qu’on a besoin de faire de la tune pour vivre. Le marché de l’art n’est après tout qu’un marché économique comme les autres. Alors on a plus tellement le choix : soit on s’approprie l’oeuvre dès lors qu’on a suffisamment d’argent (Picasso, Les femmes d’Alger, Christie’s : 179millions d’euros), soit on fait des copies, des dizaines de copies et on les vend moins cher mais à plus de gens.

C’est un raccourci énorme, ne croyez pas que ce soit un résumé suffisant. Il faut essayer de le lire pour s’en faire sa propre idée. C’est juste la consigne que nous avions à l’université. A partir d’une base solide, on peut forger son propre point de vue.

A l’époque j’ai construit mon point de vue sur une base de révolte adolescente. Et tout est à refaire à compter de tout de suite.

A bientôt, bisous doux !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.