Récit enchâssant

« Je suis tout coincé », constat cinglant de Jambin, auteur amateur au lendemain difficile.
« Impossible d’écrire » ajoute t-il, jetant un regard lassé plein d’attente à son ami et interlocuteur de choix, Cornichet.
Cornichet a rencontré Jambin à la foire du vin des pays de Loire le 17 mai d’il y a fort longtemps. C’était un dimanche, il faisait presque chaud. Les dégustations successives de Chardonnay alternées de Pineau Noir avaient fini d’étriquer le discours de Jambin devant d’impassibles vignerons indépendants. Cornichet était à la sécurité de l’évènement ce que le fromage est au Bourgueil. Et ce refrain lancinant de Jambin aux aboies aux matins qui survivent aux nuits blêmes et pénétrantes de l’ennui ne lui est pas inconnu non plus. Il a déjà lu le script, il a subodoré le scénario. Il s’agit d’une mauvaise histoire interprétée par un mauvais acteur. Jambin n’est certes pas un auteur brillant, mais il n’a surtout aucun talent d’interprétation. Il n’a pas cerné son personnage. C’est un faux stressé, un piètre paniqué. Il est mou. Jambin est tendre et mou. Flasque et vide. Souillé par le néant. Une poussière dans l’infinité des possibles.
« Tu finiras bien par y arriver. Passe-moi le sel » dit Cornichet en anticipant sur la jérémiade que Jambin s’apprêtait à déclamer à son plaidoyer insolent contre la productivité.

« Tu comptais vraiment écrire une histoire sur un type qui s’appelle Jambin et un autre qui s’appelle Cornichet ? Ce n’est pas qu’une mauvaise idée, c’est aussi très nul et sans saveur. On frôle le carambar, là » miaula John Goulde. « Si j’étais toi – ce que je ne souhaite à personne – j’irai plutôt voir du côté de chez Swan ».

Toujours, le même rêve.
Toujours la même histoire. Mais qui est ce John Goulde, bon dieu ?!!
Sur le bureau, entre la bouteille de bourbon et le cendrier en verre blanc duquel échappe des volutes bleues, quelques pages griffonnées, raturées, chiffonnées. Les résidus tangibles d’une nuit passée à l’ouvrage. Casimir Vaisselle est de ces auteurs inlassables que la nuit remue, que l’obscurité secoue, que la noirceur habite.

« C’est ça, noire soeur à bite ! » s’exclame Casimir. « Je la tiens mon histoire : un drame contemporain, deux amis d’enfance qui s’étaient perdus. L’un est un jeune flic corrompu et alcoolique et l’autre est une universitaire débauchée qui fait le tapin déguisée en nonne ! J’imagine très bien la scène des retrouvailles avec les menottes, le radiateur, les moustiques dans la chaleur étouffante d’une cellule dégueulasse suintant l’urine. Il y aurait un dénouement heureux, et la mort d’un type dont tous les personnages auraient en commun qu’ils le détestent ». Absorbé par son projet littéraire, Casimir Vaisselle ne transparait plus, il est pour ainsi dire équivoque, ou peut-être que parallélépipèdique et abscon feraient aussi l’affaire.

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