La Vie de Régis, saison 4 – épisode 4

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La population humanoïde locale est estimée à 1000 individus… nouveau calcul… 2 individus… nouveau calcul… 3,5 millions d’individus… Ordinateur, n’aurais-tu pas célébré ton anniversaire avec un peu trop de vaseline, par hasard ? Capitaine, je ne comprends pas cette question. Laisse tomber, enfin pas la navette, quelle est la trajectoire ? Calcul de trajectoire en cours… Trajectoire improbable. Pardon ?Qu’est-ce que c’est ça, trajectoire improbable ? Ordinateur ?! Allo ? Passage en manuel !
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C’est Aux moules, encore, que nous nous sommes donnés rendez-vous le lendemain. La porte qui donne sur les toilettes devait nécessairement nous servir à quelque chose. J’ai interrogé le patron derrière son comptoir au sujet du trou noir. Il s’est contenté de me lancer un regard ahuri tout en astiquant le zinc. « Qu’est-ce que ce sera ? » qu’il m’a dit. En boucle. Søren, ma petite sirène du grand nord, pense que le bistrotier n’est qu’un élément de décor. Même pas un personnage secondaire, juste un détail dans le paysage, il fait partie des murs comme on dit, un bout de papier peint, peut-être quelques mots dans une description. Je ne veux pas finir comme ça. C’est moche. Passer de super héros à légumineuse, ça s’est déjà vu et personne ne peut le souhaiter même à son pire ennemi. Nous avons convenu avec le narrateur que sa forme immatérielle pourrait nous être utile, en particulier s’il venait à être capable de traverser les plans. Sur ce point précis, bien que j’ai fait remarquer que je ne voyais pas le rapport avec la situation, Søren Pedersen et Ex-Jean-Guy se sont tout à fait entendus. Il me semblait qu’on cherchait à passer une porte, pas des plans. Puis après les plans, bah ils sont fichus. C’est pas bien malin. Ah pour faire des bêtises, y’a du monde mais quand on rentre dans le vif du sujet, y’a plus personne. Bref, je tire un trait sur Jean-Guy. Dommage.

Quand la petite sirène a dit « ouvrir une brèche pour retourner dans nos cosmogonies individuelles », j’ai ri nerveusement et puis j’ai fait mine d’avoir tout bien compris en pratiquant l’expression moue nerveuse, pommettes relevées et balancement de la tête d’avant en arrière, conclu par l’index pointé vers l’avant, synchronisé avec le reste. Je crois que ça a fonctionné. Il a plissé les yeux, pris un air encore plus sérieux que d’habitude et il m’a donné l’impression d’avoir des problèmes intestinaux. Parce qu’il fixait la porte des wc. Seulement le silence s’était installé et il a rajouté «ce qui signifie que tu dois sortir d’ici par la porte des wc et retourner dans ta propre aventure ».

Le truc, c’est qu’il n’y a rien de moins sûr que ça marche. Je veux dire, ce type est intelligent, il emploie des mots compliqués de plus de trois syllabes et on jurerait qu’il a déjà tout compris à la situation. Il se pourrait même qu’il ait monté un plan pour se débarrasser de moi. Si j’étais lui et que lui était moi, c’est ce que je ferais sans hésiter. Mais comme il est lui et que moi aussi, enfin qu’on est pas l’un l’autre et que du coup je n’ai aucune idée de ce que cosmogonie veut dire, mais si y’a cosmo dedans, ça pourrait bien être un truc de l’espace, alors que gonie, bon bah j’ai des images de hamsters en fin de vie gisant sur la paille à côté de leur roue, à bout de souffle et le sentiment du travail bien fait. Cette phrase est beaucoup trop longue pour mes capacités cérébrales, alors j’y ai demandé s’il me prenait pas un peu pour un hamster des étoiles. Le temps que j’en arrive à formuler ma question, il s’était retourné et maintant il levait la tête et regardait quelque chose entre les immeubles à travers la vitrine. Ça devait être drôlement important parce qu’il n’a pas répondu à ma question. Complètement ignoré. Pas gêné, le mec.

La nature est ainsi faite que je me suis retrouvé à imiter le scandinave. Dans l’alignement, je lève la tête à mon tour et ce que je vois à travers la vitrine est une sorte d’énorme engin qui passe très lentement au-dessus des immeubles. Un peu comme le dessous d’un bus, mais d’un très gros bus. Pas un bus à étage, ou un bus avec l’attelage, un giga-bus vu d’en-dessous zoomé de loin. Et sans les roues. Bref, un vaisseau spatial. Søren Pedersen est scotché, j’en commande un aussi pour me remettre. Le patron s’active et reprend la pose.

On décide de sortir voir ce qui se passe. La rue est vide mais on entend distinctement le grondement assourdissant d’un moteur ou d’une turbine. Une turbine, ce n’est pas un petit turban femelle contrairement à ce que tout le monde croit. C’est une espèce d’essoreuse à salade qui produit de l’énergie. Alors que la salade, elle, ne produit pas d’énergie. La salade, c’est le mal. On court jusqu’au bout de la ruelle, vers l’esplanade puis la digue et là, le spectacle est grandiose : l’objet volant non identifié qui circulait tranquillement au-dessus des barres d’immeubles pour touristes pique droit sur la plage. Les vibrations dans l’air sont si fortes qu’elles remuent chaque centimètre de ma graisse abdominale, elles déplissent la chemise de mon comparse et elles manquent de faire exploser les vitrines grillagées des magasins vides.

L’engin ne touche pas le sol sablonneux, il plonge dedans. Creusant un profond sillon, l’objet est à moitié recouvert lorsqu’il s’arrête enfin. Sacrée manière de se garer ! Maintenant qu’on en voit les côtés et le dessus, il est recouvert de capteurs et d’antennes, sûrement pour capter les matchs à l’étranger. Des clignotants dans toutes les directions semblent indiquer que la machine peut prendre des virages dans tous les sens. Et ce coup-ci, le pilote s’est planté. C’est le cas de le dire. Heureusement qu’il y a pas de platane sur la plage. Les platanes, ils poussent toujours là où il y a des accidents graves. Et puis ce qui apparaît être une porte s’ouvre en libérant un grand nuage de fumée grisâtre. Machinalement je mets la main au pistolet laser que je porte à la ceinture sauf que j’ai jamais eu de pistolet laser. Sauf une fois à la kermesse de l’école quand j’ai gagné à la pêche aux canards, mais il était en plastique jaune, comme le canard d’ailleurs, et que le laser était constitué d’eau du robinet. Un copain m’avait dit de remplacer l’eau par de l’acide, ce que j’ai fait et c’en était fini de mon pistolet en quelques secondes. Fondu complètement au niveau du réservoir. Le copain aussi a fondu une durite mais c’était plus tard. A l’acide aussi.

Søren Pedersen s’est planqué derrière un panneau d’affichage. Il bouge vite quand il veut. Moi, je suis resté raide comme un piquet de la justice, blanc comme un linge, séché sur la corde idoine. Longtemps j’ai écrit macédoine macidoine pour masse idoine. La juste masse de mayonnaise dans petits légumes carrés en conserve pour pas en sentir le goût. Un individu en combinaison de pilote de formule 1 pointe son nez par la porte fumante. Pas très grand, pas très large, pas très clair, mais pas sombre non plus : pas très original pour un cosmonaute en fait. Limite déçu. En plus, il rate une marche ou peut-être qu’il y voit rien derrière la visière de son casque, bref, à peine passées les jambes il se retrouve au fond du trou que son vaisseau vient de creuser. La belle affaire. Tout ça pour ça. V’là l’entrée des artistes. J’en arrive à espérer qu’un autre va suivre. C’est que le volant du biniou doit être sacrément imposant. Mais non, personne d’autre. Déçu-déçu, vraiment.

Alors, comme je suis sympa derrière mon air niais, je m’approche de la carlingue pour prendre des nouvelles du grand voyageur. Je me penche au-dessus de la tranchée. Impossible de réprimer un petit « alors en bas, comment ça se présente ? Bon pied, bon œil ? » histoire de détendre l’atmosphère. Le spationaute est en train de trifouiller une télécommande, rétamé par terre. Bah alors, j’y dis, tu réponds pas malpoli ? Speak french ? Il peut pas se garer là hein, private beach, no dog, no food, no cigarette. Ah oui et puis, bonjour hein, bienvenue, welcome tout ça ! J’y pensais plus, mais ça tombe, le bidule est peut-être pas humain. Des fois qu’il parle pas la langue, j’ai remué des bras vigoureusement en poussant des hurlements virils. Au moins, ça a attiré l’attention du pilote. Encouragé par les effets positifs de cette approche tactique, j’ai agité les jambes en cadence, un genou en l’air et puis l’autre, le souffle commençait à me manquer. Mes hurlement se sont rapidement transformés en petits cris aigus. Là j’ai fait une pause.

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