Violence

20:00 – Dehors, le néant, la nuit, l’hiver, le froid.
Dehors, rien.

Rien, sinon cinq post-adolescents

deux mâles, trois filles.
Leurs cris, leurs rires, sont ceux de l’ivresse, de la drogue
ils marchent à allure changeante vers un but commun

Deux d’entre eux savent où ils finiront,
Trois d’entre eux sont soumis à leurs compagnons.

Le couloir mène à l’introspection
ce trottoir sans vie, frappé de l’empreinte
de la jeunesse bourgeoise estudiantine ;

Du troisième étage d’un immeuble éteint,
par l’entrebâillement d’une fenêtre curieuse,
le soupir d’un trop-entendant
marque le début des festivités.

Au troisième étage, toujours plus proche du ciel d’encre
un fauteuil tourné vers l’existence supporte la masse d’un chevelu assombri.

Usé,  lavé à la poussière
le corps éreinté
on confond presque le meuble et l’humain.

Cinq innocents se rassemblent au droit d’un portail de fer rouillé.

La porte massive s’ouvre sans sésame
pour les intrépides amoureux sous les acclamations des soumis palpitants.

Une course folle à l’escalade de quelques marches,
une autre porte sur leur chemin,
celle-ci plus noire encore, plus épuisée de n’être jamais ouverte.

Accumulée la poussière sur les ciselures, c’est bien là
l’antre d’un mort, ou d’un mauvais-vivant.

La porte reste clause, malgré les coups en crescendo
du plus valeureux des mâles dominants.

Bam. Bam. BAM. BAM.

On respire l’odeur de cendres éteintes, du sang, de la bile.
Un souffle gelé ouvre une danse au rythme posé, et déconstruit.

BAM… … …Bam… … …Bam.

Le verrou grince,
la poignée bouge à présent, les mécanismes expriment leur joie
dans des hurlements métalliques.

La porte enfin, toute entière se meut.
Le meuble vit. Cela faisait si longtemps.

Le mouvement  de la porte est douloureux.
Depuis quand a t-il décidé de s’asseoir là
devant sa fenêtre  ?

Il ne s’en souvient plus. Entre les cadavres,
les bouteilles et les peintures, toutes vides,
un corps organique agit sur un corps mécanique.
L’ouverture est une expédition.

Qui est derrière la porte, il le sait.
Que se passera t-il une fois la porte ouverte, il ne veut pas y croire encore.

Les mots s’installent
Les mots agissent.

« -Salut.
-salut, ça va ? introduit le dominant au demi-mort
-C’est quoi ce bordel (?)
-Bah euh… en fait on a invité des copines, on s’est dit que ça pourrait le faire, tu vois…
-Ouais, je vois affirme t-il en posant son regard sur le paysage féminin.
-Tu nous laisses entrer ?
-Non.
-Merde, déconne pas ! enchaîne t-il, ayant sûrement prévu la réplique précédente, soutenu par les cris étouffés des soumis.
-J’ai plus rien à boire.
-On a prévu.
-J’ai plus rien.
-On a prévu. »

Deux longues respirations plus tard, le chevelu fait demi-tour
frôlant le mur, et voit passer le décor un peu trop vite.

Il perd l’équilibre, s’appuie contre le mur, chancèle et ruissèle.
Il échoue enfin sur le lit.

Exactement disposé à cet effet. Une habitude.

Le groupe entre. Certains prennent leurs aises
d’autres restent figés, mal à l’aise ou malades

Ils ouvrent la bouche pour absorber le peu d’air sain
perdu dans la pièce principale du petit appartement.

Des yeux se baladent sur les corps nus des peintures
des regards s’oublient sur les traces d’alcool au sol.

Pas un mot, pas une musique. Juste le bruit de la nuit.

« -Qu’avez-vous apporté  ?
-Bière, whisky, et…
-Mets les bières au frais, tu sais où est le frigo.
-et…Champagne !
-Qui va boire de cette saloperie ?
-Moi, suffoque une d’elles, pincée.
-Ah ouais ? Kes vous foutez chez moi ?
-Tu ne vois pas ? interroge le dominant.
-Quoi ?
-Bah, trois petites nanas, et on est que deux.
-…
-On s’était dit que, comme toi tu avais une piaule, des matelas, et puis l’ambiance adéquate…
-L’ambiance adéquate à baiser ? Il y a une ambiance adéquate à baiser ?
Hein ? l’interjection est pour la buveuse de champagne, introspective.
-Les tableaux sont jolis.
-Les tableaux sont jolis. Ouais, mes tableaux sont adéquats à baiser, pas vrai ?
-Il sont assez excitants.
-Tu veux te taper un de mes tableaux ? C’est ça ?
-Bon, tu veux ou pas ? s’insurge le plus vaillant au torse bombé.
-J’vais m’laver.
-C’est ça ouais, va te laver, on prépare tout.
-Je prends la bouteille de whisky.
-T’inquiètes, personne d’autre que toi ici n’en boit.
-C’est touchant. »

Seul dans un local assez large pour accueillir trois personnes debout
le confessionnal du désarroi est un placard
où entre le miroir et la baignoire, il n’y a qu’un pas.

Sur le lavabo, des flacons vides de parfums et autres savons
du dentifrice, une bouteille de whisky, un verre où fleurit une moisissure
des cotons-tiges, une fleur fanée.

Au sol, un tapis en plastique, des sous-vêtements sales.
Le miroir. Le chevelu dans le miroir.
Il ne se reconnait pas.

Non, ce n’est pas lui, pas l’artiste qui posait pour la postérité
dans les magazines et au journal télévisé.

Un verre de whisky, après ça ira mieux.

Faire couler de l’eau dans la baignoire en fonte émaillée,
où une eau stagnante marque sa présence d’un trait de calcaire.

Soulever la lunette des toilettes, on ne sait jamais.

L’eau chaude est trop agressive, elle dévore la chair,
l’eau tiède endort. Le chevelu se lave à l’eau glaciale.

Un peu de savon,
un coup de rasoir,
un coup de brosse à dents
un coup de peigne encore et ce sera parfait.

Un autre coup de whisky, dans la baignoire c’est pas banal.
En dehors du placard, l’envie de vivre inonde et efface peu à peu les effluves de mort
on efface la poussière, on ouvre les fenêtres
on couche les matelas et on couche les amies.

Le champagne, ce poison.
La nuit se trame en faveur d’Eros.

Et dans un placard, un mur de silence peigne une chevelure rebelle.

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