Artiste X 30052006

Regardez-les. Ils attendent de la gratitude parcequ’il m’offre de l’occupation.
Regardez-les. Ils sont émus de mes talents, leur porte-feuille s’ouvre à ma venue.
Regardez-les. Ils se soulèvent sur la pointe des pieds tant je les vouvoie
ces voyeurs, ces morts-vivants, ces acheteurs-nés qui ne touchent pas un mot sur l’art
et qui sont fiers de meugler « je suis votre plus grand admirateur ! »
Regardez-les s’extasier devant la nudité crue, devant l’érotisme le plus commun
comme ils pourraient adorer des idoles à lingerie fine sur des affiches de publicité.
Regardez-les se joindre à l’unisson pour proclamer le nouveau prince local
de la belle peinture, de l’art commercial, de la décrépitude du savoir.
Comme on saisit la Cécile par le coeur au coin d’un zinc en lui offrant un verre
Comme on tête au sein des mégères endimanchées un jour d’exposition
pour saisir plutôt que leur lait, l’or scintillant sur les dents de leur sourire béat.
Comme on s’arrange pour être le héros dont ils ont toujours rêvé
Comme on construit des aventures, et des ritournelles à l’abri d’un verre de bière
J’ai saisi leur coeur de mes mains peintes en bleu
J’ai tracé sur mes bras un trait pour chaque toile vendue
Je suis un vendu de l’art, ah ! Mais pas de bûcher pour nous autres
pas de lapidation, nous sommes les nouvelles idoles.
J’ai vendu en plus de ma peinture, les parties de mon corps
qui tentaient tant la jeune mère à l’enfant au parfum entêtant.
La Honte elle-même m’applaudit
suivie de la fanfare municipale
et puis c’est au tour des grandes pompes
des notables et des journalistes
allons-y pour les photos, j’en ai des crampes à sourire comme un con.
Des années à entreprendre les rouages de l’art contemporain
à manifester de l’intérêt pour le désintéressement
à lutter du côté de ceux qu’on laisse dans la rue la nuit
pour venir échouer là, parmi le beau monde
avec un personnage qui sied tellement à l’occasion
je suis l’artiste X.
Prenez-moi, je ne suis peut-être pas le meilleur
mais je suis le moins cher.
Prenez-moi, je vendrai tout
mon âme et mon talent
pour le portrait de vos familles
pour le corps de vos femmes
jusqu’à mon dernier craft
Mais ne pensez pas que j’ai retourné ma veste
je goûte à ce monde là, pour mieux comprendre
pourquoi j’ai choisi les chemins étriqués de l’art.
(du vrai).

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