Les verrous

Méthodiquement, les serrures et les verrous ont été scellés au portail, à la porte et aux volets. Comme pour signifier symboliquement que la mort ne passerait pas par là, qu’elle était mal-venue, tandis que le cortège inlassablement se répandait dans la courée. Une traînée noire dégueulait sur le pavé suintant de misère mièvre, de tristesse alambiquée et de tabac brun. Les alcôves discrètes dans les allées sombres cachaient des sans-abris au visage tanné par le froid. Une main parfois s’extirpait dans la lumière froide de janvier pour quémander l’aumône.

Machinalement, je débloquais une à une les serrures, j’ouvrais les verrous du portail, puis de la porte et des volets. Comme pour signifier symboliquement que la mort n’était pas – n’était plus – une inconnue, depuis que le cortège jadis s’était épandu dans les cimetières. Une traînée ocre grise s’échappait des usines alentours altérant l’atmosphère de particules lourdes, célébrant le spectre du chômage ambiant et réveillant chez les anciens les souvenirs tristes d’une vie alambiquée. Les alcôves discrètes dans les allées sombres regorgent encore de sans-abris au visage tanné par le froid. Il y a des enfants qui mendient au bord du périphérique.

Maintenant que le charme d’antan est libéré de ses verrous, la rouille érode les mémoires. J’ouvre les portes et les volets comme pour signifier symboliquement  alors qu’on finit aujourd’hui d’enterrer les nôtres que la mort est assise tout à côté de moi. Une traînée gris-bleu s’échappe de la fournaise de ma cigarette malmenant les atomes de mes chairs molles. Le tumulte des êtres immobiles au dehors fige dans un état de détresse inaltérable un paysage familier de deuil et de drames. Il reste encore beaucoup d’enfants qui mendient au bord du périphérique.

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