En ce troisième jour de PAF, j’ai fait cui-cui, sic j’ai cuit des oeufs d’animaux d’ici qui ont des noms d’oiseaux. En d’autres termes, j’ai siffloté dans l’eau bouillante les oeufs de PAF. Joyeuse fête !

Non, ce n’est définitivement pas le meilleur texte que j’ai pu écrire. Je pense même qu’il est assez bas de plafond. Limite basse cour ! La question gastronomique n’était pas au menu de ce jour, mais puisqu’on y est je me mets à table.

Il se forme chaque soir un ballet dans la cuisine commune. Un ballet de poêles, de casseroles et de tchouc-tchouc sur des planches en bois. De l’eau boue, ça émulsionne, ça frétille, ça crépite et les odeurs des mets se mélangent, c’est divin.

Dans ce spectacle j’ai un peu de mal à trouver ma place. Il faut dire que je joue débutant. Avec mes oeufs durs, mes tomates mozzarella et ma salade de poix aux lardons, j’en mène pas large de la soupière devant mes cooccupants.

Déjà il y a ceux qui trichent : les cuisiniers pour 2, 3 ou 4. Cela en fait déjà 1, 2 ou 3 qui ne jouent pas à la dinette. Ce n’est pas normal !

Ensuite il y a ceux qui savent : ils voient bien que je m’en sors pas, alors ils aident. Peter est un auteur néerlandais au sujet duquel j’écrivais précédemment. Au terme d’une de nos conversations sur la littérature et la musique, il m’a convié à partager sa soupe du pauvre. Spécialité de là-bas, la soupe se compose majoritairement de fenouil émincé, d’oignon revenu à la poêle, de dés de lard fumé et d’eau. L’ensemble rappelle la soupe à l’oignon, en plus riche. Ma cotisation à cette invitation : du pain et du fromage. A la française, quoi. Pour ce soir, je pense m’y prendre à l’avance : pâtes au thon oeuf mayo !

Ah, ça y est j’ai trouvé ma transition toute faite. Elle est un peu tirée par les cheveux. Je lisais tout à l’heure le recueil de poésie Soleil de nuit, petite anthologie de poèmes écrits par Jacques Prévert entre 1936 et 1975. Et bien figurez-vous qu’il y a un texte (au moins un..) adressé à Mayo, le peintre dans le cadre de l’ouverture d’une de ses expositions.

C’est le Comité Troukikiste qui m’a vivement incité durant mes premières années de fac à réessayer d’entrer dans l’univers de Jacques Prévert. Si je me souviens bien, j’avais tant de choses à apprendre que je me restreignais à survoler les oeuvres sans véritablement rentrer dedans. Quelle erreur ! M. Prévert joue avec les mots bien mieux que je n’y suis jamais arrivé (cf : introduction de cet article). S’il ne s’amuse pas, il en donne en tout cas l’impression. Il se divertit du langage et de l’écrit. Il a l’oreille musicale. Parce que chez Prévert, si on peut trouver son compte en le lisant pour soi, la pleine conscience de son immense talent passe par l’oralité. Il faut lire à voix haute, écouter et chanter sa poésie.

La rythmique est verbale. Elle passe par la nécessité du lecteur à respirer entre les vers. Le silence est un mot transparent et inaudible. Mais il est bel et bien présent. Il s’incarne tout particulièrement en poésie. La sonorité, elle n’appartient pas tout à fait à l’auteur. Prenons Artaud et l’excellent Pour en finir avec le jugement de Dieu (oeuvre poétique et radiophonique), le texte est une partition. Il ne s’agit que sons enchaînés comme une sorte de liste. Pas de place pour l’interprétation.

Chez Prévert, c’est une autre histoire (mon p’tit bonhomme). Il faut du talent pour réciter le monsieur. Barbara, Reggiani, Montand : trio gagnant. Et s’il faut rajouter une dimension musicale, allons voir Kosma. Il est évident qu’une fois cette joyeuse troupe réunie, il ne peut plus se passer grand chose de grave. Un film avec Marcel Carné. Un autre, c’est ma tournée : attention ça tourne.

Nous y sommes : il y a de la joie dans la poésie de Prévert, mais pas que. Le poète prend la seconde guerre mondiale en travers de la figure, comme beaucoup de ses contemporains. La joie de Prévert est une forme de révolte. C’est sa réponse à l’horreur, au chagrin et à la bêtise humaine. Il joue aux bons mots, déverse des torrents d’amour et dévaste la morosité d’un bon coup de dico dans les mandibules.

Je maintiens qu’il faut garder en tête le contexte historique dans lequel évolue un auteur lorsqu’on s’y intéresse un peu. Cela ajoute de la profondeur aux textes et il y a généralement plusieurs sens pour chaque strophe.

A défaut de restituer dans son intégralité un texte qui m’a particulièrement touché (je pense que je n’en ai pas le droit en fait), voilà un extrait de Aujourd’hui, tiré de la revue Simoun en 1956, hommage à Robert Desnos.

Aujourd’hui (…)
Je me suis promené avec Robert Desnos
oui je me suis promené avec lui
et on riait
et on s’engueulait
on n’était pas toujours d’accord
même s’il est mort
nous deux comme une femme nous aimions la vie
ce n’était jamais la même femme
était-ce toujours la même vie
Aujourd’hui moi aussi je me suis promené avec mon camarade
avec mon ami
et ses grands éclats de voix de colère et de rire et de portes claquées et de carreaux brisés rebondissaient sur le pavé
mais toujours il y avait dans la main de l’amitié
le mastic du vitrier.

Je vous invite à lire et relire Prévert. Moi ça me fout des frissons.

A demain !